Punaise, rien ne venait. La page blanche, le vide sonique, le silence
infini des gouffres pas clairs. Respiration rapide, inspiration bloquée.
On lui avait pourtant dit : « le deuxième album, c’est dur ! ».
Et il avait ricané.
Demain, on verra. On a le temps, merde ! Un autre concert à guichets
fermés. Une autre ovation et la nuit blanche comme une ligne de coke. L’avion
dévasté entre Paris et Chicago. La Rolls à fond en marche arrière sur le
boulevard. Une interview 100% provoc et même pas rasé dans Rolling Stunned. Les
royalties tombaient en une cascade de dollars défiscalisés par les soins d’apothicaire
d’un avocat discret, fourni à titre amical par Kapital Recordz. Le bon M.
Martinez était toujours d’un grand secours aux groupes pour les conseils en
défiscalisation.
Double, triple disque d’or, de platine, de cobalt, ou tout autre métal précieux,
il avait oublié… le premier opus du groupe se vendait comme des petits pains. Les
quatre cerises alignées sur le bandit manchot du show business ! Le tiroir-caisse
de la gloire s’était mis à bailler comme une huître et laissait échapper des
liasses de billets violets. Chaque titre sorti en single, montant au hit parade,
l’un après l’autre. LOL maximum, profit fois deux, trois, quatre. Une version
remix pour les clubs, une version longue pour les crétins prêts à payer encore
une fois et la « collector » pour le plaisir des comptables. Sur la
vente des T-shirts et des pin’s il n’imaginait
que le taux de marge était si grand.
Et là, pouf, allez les gars, on entre en studio. La suite, c’est tout de
suite. Au boulot. Trois accords, ta voix là-dessus, une poignée de refrains
accrocheurs comme tu sais faire. Un mois à nourrir le 64 pistes, les ingés sons au garde à vous 24/24, l’hôtel 5 étoiles,
le groupe en ordre de bataille. De la poudre à la poignée. Du ketchup ou du caviar,
tu mets une croix dans la commande. Des copines très gentilles. Résultat net :
11 chansons, trois remix et deux featuring et hop, on lance ça en Septembre !
Mais punaise, nom d’un putois, rien ne venait. Malgré les doses plus
fortes, les nuits plus courtes et les conseils des pros (payés par Kapital Recordz
pour apparaître tels des gremlins à toute heure du jour et de la nuit).
« Si on faisait un album de reprises ? », lui suggéra son
bassiste, après trois semaines de ronds dans l’eau et quelques litres
supplémentaires de Cabernet-Sauvignon. Le bassiste quitta le groupe le lundi
suivant.
« Tentez l’acoustique ! » lui dit M. Martinez. On lui
rétorqua avec force d’aller voir à Genève si les placements défiscalisés se portaient
bien.
« Changez de style complètement ! » lui glissa une groupie échevelée
mais pas stupide du tout, vers 03h30 une nuit qu’ils finissaient les minibars
de leur suite à coups de tatanes. Elle
avait une idée mais plus de culotte, on ne l’écouta pas.
De style, il n’en avait guère plus. Pas une nouvelle chanson dans la
caboche. Aucun refrain, quelques couplets pourris. Des morceaux brefs de
mélodies inexploitables.
Après 7 semaines dans le studio, les 64 pistes avaient tout entendu, mais
rien retenu.
On plia bagage, paya les factures et
rentra chez soi.
Bien plus tard, le bassiste, M. Martinez (toujours bon pied bon œil) et la
groupie (bien habillée, cette fois ci) se retrouveraient dans un cocktail et
diraient « ha ha ha, on a quand même
bien rigolé à cette époque, non ? ». Fait avéré.
Dans la sono, passerait une version remasterisée d’un des tubes du premier
album. Les ventes de la version 2014 dépassaient toutes les prévisions. Bingo,
extraballe et re-bingo. Ceux qui avaient acheté les 33 tours, et leurs zenfants
en bonus. Deux générations prêtes à cracher, le bonheur absolu du copyright !
On lui enverrait un chèque, parce que dans son île
battue par les vents, il n’avait même plus Internet. Enfin, c’est ce qui se
disait dans un article de Rolling Stunned...