mercredi 27 août 2014

Un-inspired

Punaise, rien ne venait. La page blanche, le vide sonique, le silence infini des gouffres pas clairs. Respiration rapide, inspiration bloquée.
On lui avait pourtant dit : « le deuxième album, c’est dur ! ». Et il avait ricané.
Demain, on verra. On a le temps, merde ! Un autre concert à guichets fermés. Une autre ovation et la nuit blanche comme une ligne de coke. L’avion dévasté entre Paris et Chicago. La Rolls à fond en marche arrière sur le boulevard. Une interview 100% provoc et même pas rasé dans Rolling Stunned. Les royalties tombaient en une cascade de dollars défiscalisés par les soins d’apothicaire d’un avocat discret, fourni à titre amical par Kapital Recordz. Le bon M. Martinez était toujours d’un grand secours aux groupes pour les conseils en défiscalisation.
Double, triple disque d’or, de platine, de cobalt, ou tout autre métal précieux, il avait oublié… le premier opus du groupe se vendait comme des petits pains. Les quatre cerises alignées sur le bandit manchot du show business ! Le tiroir-caisse de la gloire s’était mis à bailler comme une huître et laissait échapper des liasses de billets violets. Chaque titre sorti en single, montant au hit parade, l’un après l’autre. LOL maximum, profit fois deux, trois, quatre. Une version remix pour les clubs, une version longue pour les crétins prêts à payer encore une fois et la « collector » pour le plaisir des comptables. Sur la vente des T-shirts et des pin’s  il n’imaginait que le taux de marge était si grand. 
Et là, pouf, allez les gars, on entre en studio. La suite, c’est tout de suite. Au boulot. Trois accords, ta voix là-dessus, une poignée de refrains accrocheurs comme tu sais faire. Un mois à nourrir le 64 pistes, les ingés sons au garde à vous 24/24, l’hôtel 5 étoiles, le groupe en ordre de bataille. De la poudre à la poignée. Du ketchup ou du caviar, tu mets une croix dans la commande. Des copines très gentilles. Résultat net : 11 chansons, trois remix et deux featuring et hop, on lance ça en Septembre !
Mais punaise, nom d’un putois, rien ne venait. Malgré les doses plus fortes, les nuits plus courtes et les conseils des pros (payés par Kapital Recordz pour apparaître tels des gremlins à toute heure du jour et de la nuit).
« Si on faisait un album de reprises ? », lui suggéra son bassiste, après trois semaines de ronds dans l’eau et quelques litres supplémentaires de Cabernet-Sauvignon. Le bassiste quitta le groupe le lundi suivant.
« Tentez l’acoustique ! » lui dit M. Martinez. On lui rétorqua avec force d’aller voir à Genève si les placements défiscalisés se portaient bien.
« Changez de style complètement ! » lui glissa une groupie échevelée mais pas stupide du tout, vers 03h30 une nuit qu’ils finissaient les minibars de leur suite à coups de  tatanes. Elle avait une idée mais plus de culotte, on ne l’écouta pas.
De style, il n’en avait guère plus. Pas une nouvelle chanson dans la caboche. Aucun refrain, quelques couplets pourris. Des morceaux brefs de mélodies inexploitables.
Après 7 semaines dans le studio, les 64 pistes avaient tout entendu, mais rien retenu.
 On plia bagage, paya les factures et rentra chez soi.  
Bien plus tard, le bassiste, M. Martinez (toujours bon pied bon œil) et la groupie (bien habillée, cette fois ci) se retrouveraient dans un cocktail et diraient « ha ha ha, on a quand même bien rigolé à cette époque, non ? ». Fait avéré.
Dans la sono, passerait une version remasterisée d’un des tubes du premier album. Les ventes de la version 2014 dépassaient toutes les prévisions. Bingo, extraballe et re-bingo. Ceux qui avaient acheté les 33 tours, et leurs zenfants en bonus. Deux générations prêtes à cracher, le bonheur absolu du copyright !
On lui enverrait un chèque, parce que dans son île battue par les vents, il n’avait même plus Internet. Enfin, c’est ce qui se disait dans un article de Rolling Stunned...