Soudain tout lui parut limpide.
Clair et tranchant comme un accord de guitare à plein volume qui vous
réveille en sursaut un lendemain de duel au shot de tequila-rapido avec une
bande de copains bikers, et vous vrille le crâne avec la certitude d’une balle
de .38 qui s’élance de la gueule bleutée d’un Colt. Bang.
C’était de la tendresse. De la tendresse, bordel ! Les 6000 personnes présentes
au Zénith de Paris, ce soir-là avaient tous de la tendresse pour ce bon vieux
Lemmy. Toujours stoïque et impassible, notre dinosaure buriné se tenait debout
et bien droit, tel une statue du Commandeur des Bruyants, grattant sa basse en
cadence mais ne bougeant pas plus qu’un chêne sur lequel pisserait un chaton.
Il était planté là, son micro très haut comme d’habitude, enchaînant les titres
sans bouger de plus de la largeur d’un médiator.
Le déluge sonique forgé par son guitariste, son monstrueux batteur et
lui-même coulait telle une langue de lave en fusion dans ses oreilles secouées.
Mais pour ce Lemmy fixe, quasiment momifié par temps, les décibels et le
Jack Daniel’s, avec son rond de serviette déjà réservé chez la Grande Faucheuse,
son amie… nul n’avait d’autre pensée qu’une putain de tendresse. De toute
façon, que recherchaient-ils ces métalleux, ces chevelus, ces fans, ces
spectateurs de tous âges au Zénith ? Du bruit et de la fureur en
apparence, mais au fond, personne n’était dupe. Chacun venait ici pour voir un
monument, le saluer respectueusement peut être une dernière fois et prendre une
bonne grosse claque dans les tympans… mais surtout pour être ensemble, témoigner
de son goût immodéré pour l’amitié, la fidélité, les copains d’abord, la bière
fraîche , la viande rouge et les grosses rigolades. Les T-shirts noirs et les
têtes morts au fond n’étaient qu’un putain de prétexte pour faire suer les
bigotes et les coincés.
Il regardait l’énorme batteur de ce Motörhead cuvée 2014, le suédois Mikkey
Dee s’agiter tel un muppet de 120 kilos sous acide, dont les cheveux blonds
brillaient sous les spotlights, au centre de ses fûts à réaction. Il observait
les guitares pointues comme des lances de Phil Campbell dont les solis
cascadaient très haut dans la virtuosité et les notes aigues.
Tout s’affaça dans un maelström de bruit, fort comme une vague de tempête d’hiver,
et il oublia soudain le RER gris et les factures à payer, les impôts en folie,
les drones et les bombes, la censure médiatique et le politiquement correct.
Comme Lemmy l’avait dit pour commencer chacun de ses concerts et donner le
ton : we are Motörhead and we play
rock and roll.
Tout lui parut enfin limpide, dans la folie des décibels et le hurlement
des amplis. C’était bien de la tendresse pour le vieux lion qui suintait de
tous les pores, de tous les poings levés et ça, c’était beau.
Jérôme « Overkill » V.
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