samedi 20 septembre 2014

Pamphlet (coup de gueule, donc) vs. Fauve# - Vieux Frères (2014)

Comme j’ai passé l’âge de ces conneries puisque j’ai celui de connaître cette réplique depuis sa sortie au cinéma, je ne lis plus guère les apologies ou réquisitoires contre tel ou tel artiste, me contentant de sourire lorsque, d’aventure, mon chemin croise celui d’une couverture de la presse culturelle.
Pourtant, je n’ai pu échapper à la navrante bataille qui s’est livrée à deux pas des fonts baptismaux du groupe Fauve# (oui, je sais que ce n’est pas la bonne typographie mais je n’ai pas non plus une soirée à consacrer à la recherche d’un caractère spécial, à seule fin de ménager la susceptibilité mal placée d’un groupe qui ne lira pas cette chronique). Faut-il décidément que l’on s’ennuie dans ce pays pour que la polémique fasse rage autour du premier album d’un tout jeune groupe et que la critique rock verse dans l’emphase hystérique avec une ferveur pour le moins ridicule. Fauve# est-il le sauveur de la pop française ou l’incarnation de la grande escroquerie du rock’n’roll ? Le bon ou le truand ? Voilà, en somme, le choix laissé par les prophètes du bon goût rock à la sauce française. Alors qu’une tasse de verveine et deux minutes de réflexion suffisent amplement à comprendre que Fauve# n’est ni l’un ni l’autre et ne mérite pas plus d’être brûlé que béatifié. Que des foules adolescentes aient éprouvé une empathie immédiate pour le message du groupe ne devrait étonner que d’incurables candides. Si j’avais entendu Infirmière ou Lettre à Zoé à seize ans, nul doute que j’aurais cru découvrir un continent inconnu, un nouveau genre et que j’aurais crié à la révolution musicale. Mais à seize ans, tu crois que tu es le premier à avoir des boutons sur le menton et d’incommensurables peines au coeur. J’ai largement passé l’âge béni où t’es qu’un con et il y a qu’à toi qu’on l’a pas dit, et cette claque-là, celle que t’inflige un type déclamant des textes qui font echo à tes angoisses sur des musiques que tu aurais adorées même avec les paroles de la danse des canards, je la dois à Diabologum* et je l’ai reçue il y a vingt ans. Sad but true, les enfants, on connaissait déjà la chanson. Ça ne fait pas de Fauve# un mauvais groupe, simplement ils n’ont pas inventé le rock parlé, comme on a pu le lire. Ils n’ont même rien inventé du tout mais il faudrait être bien sot pour leur en faire grief.  
N’étant pas critique rock, je ne vous dirai pas ce que vous devez penser de l’album de Fauve#, vous êtes assez grands pour ça, c’est votre cuisine interne. Si ça vous touche de la racine des cheveux jusqu’à l’ongle du petit orteil, que celui qui vous jette la première pierre perde irrémédiablement l’usage de ses tympans, ça lui fera les pieds. L’émotion n’a pas à être jugée.
Pour ma part, j’attendrai le prochain album ou le suivant pour être enthousiasmée. Je suis trop vieille ou Fauve# est trop jeune. Leur écriture me laisse un goût d’inachevé et manque encore de cette autodérision qui rend les désespérés fréquentables. Leur révolte se pare de couleurs trop criardes pour s’accorder avec la décoration que j’ai choisie. Leur désespoir, leur colère m’embarrassent et j’ai eu l’impression de violer le secret honteux d’un journal intime un peu godiche dans lequel on sent confusément la possibilité de belles pages qu’on ne trouve qu’à la fin, trop tard pour la rédemption. Les deux derniers morceaux, Lettre à Zoé et Roulette, plus achevés, moins geignards,  sonnent comme un regret ou comme une promesse et semblent dire « revenez nous voir, dans quelque temps, si l’amertume ou la sotte prétention ne nous ont pas engloutis d’ici là,  si la critique ne nous a pas tués dans l’oeuf comme elle en a tué tant d’autres avant nous, si nous avons survécu aux crachats comme aux louanges dithyrambiques. Revenez plus tard, il y a peut-être en nous une étincelle d’émotion qui survivra à la vanité ».
Et vous savez quoi ? J’ai envie de croiser les doigts pour que, lors notre prochaine rencontre, dans quelques années, la magie opère. Que, comme dans leurs chansons, l’histoire se finisse un peu niaisement mais bien. Et que je puisse chanter : « aujourd’hui, j’ai seize ans ».

Henriette de Saint-Fiel


* Si tu ne connais pas ces gars-là, va toquer chez Youtube ou son voisin,  demande « 365 jours ouvrables » et assieds-toi.