jeudi 18 juin 2015

Dominique Nicolas : retour d’un géant de la pop


Il y a tout un tas de choses plus ou moins attendues que l’on pourrait dire à propos de ce disque : « le retour d’Indochine » ; « une leçon d’Indochine à Indochine » ; « le meilleur album d’Indochine depuis Un Jour dans notre Vie  [dernier album avec Dominique, ndlr] » … Ce qui serait à la fois fondé et infondé. D’un côté, on parle du musicien au talent indicible qui a composé la quasi-totalité des six premiers albums d’Indochine MK I, comme il les nomme élégamment, et qu’il serait grotesque de réduire au chant criard de Nicola Sirkis puisque les compositions présentes sur ces disques restent irréprochables et intemporelles. « Indochine », un nom laissé depuis 1994 à la merci des caprices de celui qui n’a jamais eu la justesse d’en changer.
D’un autre côté, on parle d’un mec qui s’est, depuis les années 90, largement éloigné du champagne, des paillettes et des salles de concert enflammées pour retrouver la tranquillité au sein de la campagne du Massif Central. Avec tout son matériel dans les bagages, le même fourbi qui s’arrache aujourd’hui à prix d’or : boîtes à rythmes analogiques, synthétiseurs en fonte, amplis à lampes et guitares vintage.
Cela faisait de nombreuses années que les rumeurs d’album solo avaient cours, et même si Dominique s’était illustré au sein de plusieurs collaborations, ce projet n’avait alors jamais vu le jour. Un album très électronique a pourtant été réalisé vers 2004, et seul le charmant Histoires Naturelles en avait été rendu disponible sur la plateforme Youtube. Un titre repensé et réorchestré en guise d’introduction à La Beauté de l’Idée, et quel titre !
Ici ouvre La Beauté de l’Idée tout en saturation et en mélodie, et donne le ton pour un album qui sera définitivement pop : le magnifique L’Amour témoigne à merveille de cette absence de complexe. Pop eighties, pop nineties, pop des années 2000, on est comme annoncé par Dominique au milieu de trente ans d’influences digérées à travers une patte musicale et sonore reconnaissable entre toutes. Dis comme moi, A ne pas croire, La balançoire, Légers comme l’air, Une ville sans néons, Instagram ont tout pour plaire aux indophiles – et particulièrement ceux qui savent apprécier des disques comme Le Péril Jaune ou Un Jour dans notre Vie, mais aussi à tous ceux qui se retrouvent dans la pop à guitares soignée. Le son est remarquable, d’une grande clarté malgré un spectre général plutôt massif, et on se délecte d’entendre un peu de rock par-ci, un peu de synthpop par là, de gracieux vocoders et surtout beaucoup de mélodies façon new wave. Cette même new wave qui en France, en 1982, avait été colorée du son de la Fender Mustang de Dominique, de ses influences ska, rockabilly, et surtout de ses mélodies inspirées des immenses Shadows.
Côté textes, Noël Mattéi, chanteur de feu Madinkà, semble avoir pris du recul sur cette époque. Comme en témoignent les textes très honorables de Mon enfant et A part, disponibles sur son EP auquel a participé Dominique, l’homme a beaucoup progressé à ce niveau.  
Effectivement, non seulement les textes de La Beauté de l’Idée se tiennent très bien, mais certains se révèlent particulièrement émouvants : L’amour, Dis comme moi, La balançoire, Instagram constituent l’affirmation d’une plume affirmée, de la part d’un homme visiblement électrisé et heureux de pouvoir travailler avec celui qui a tant apporté à sa culture musicale. La voix grave, juste et chaleureuse de Dominique, aussi proche de Miossec que de Daho, s’accorde parfaitement à la poésie charmante et au vocabulaire romantique de Noël. La nature, l’amour, le ciel et la terre, la mer et les arbres, le rire et les larmes, tout y passe pour le plaisir des grands sensibles, qui verrons sûrement dans ces textes une nouvelle invitation au voyage. Tantôt, la musique se fait support pour le texte, tantôt l’inverse, et en ce sens la démonstration d’alchimie est parfaitement réussie. On salue au passage la jolie reprise de Sous quelle étoile suis-je né de Michel Polnareff façon synthpop, qui devrait ravir les fans de Taxi Girl et des premiers Depeche Mode.
Au-delà d’une subjectivité certaine de ma part, couplée à une réelle envie d’honnêteté qui ferait écho à ce qui est proposé sur ce disque – et bon sang ce que ça change au milieu d’une scène où chacun veut être plus branché que son voisin – La Beauté de l’Idée est une grande réussite, une vraie leçon d’humilité, de sincérité et de pure pop music, qui se clôture tout en élégance sur le superbe Instagram. Un titre mélancolique, toutes cordes dehors, qui rappelle par plusieurs aspects Your Blue Room  proposé par U2 sous le nom « Passengers », lors de leur période la plus expérimentale.

Dominique Nicolas est un maître, et cet album est un pavé dans la mare. Il est à la fois l’occasion de montrer à quel point la pop française actuelle doit à son auteur, que celle de donner une leçon de composition à nombre de groupes tout frais qui pensent qu’il suffit de surfer sur la réhabilitation de la langue française pour présenter un projet crédible. La majorité des titres ayant été composés ces trois dernières années, on tient ici la preuve que Dominique Nicolas n’a rien perdu de son talent, malgré vingt années passées loin de la scène. Maintenant, si ceux qui ont découvert la musique francophone avec La Femme pouvaient faire un effort de curiosité, ce serait un pas en plus vers la reconnaissance que mérite la scène française.

R. D.