Il y a tout un tas
de choses plus ou moins attendues que l’on pourrait dire à propos de ce
disque : « le retour
d’Indochine » ; « une
leçon d’Indochine à Indochine » ; « le meilleur album d’Indochine depuis Un Jour dans notre Vie
[dernier album avec Dominique, ndlr] » … Ce qui serait à la fois fondé et
infondé. D’un côté, on parle du musicien au talent indicible qui a composé la
quasi-totalité des six premiers albums d’Indochine MK I, comme il les nomme
élégamment, et qu’il serait grotesque de réduire au chant criard de Nicola
Sirkis puisque les compositions présentes sur ces disques restent irréprochables
et intemporelles. « Indochine », un nom laissé depuis 1994 à la merci
des caprices de celui qui n’a jamais eu la justesse d’en changer.
D’un autre côté,
on parle d’un mec qui s’est, depuis les années 90, largement éloigné du
champagne, des paillettes et des salles de concert enflammées pour retrouver la
tranquillité au sein de la campagne du Massif Central. Avec tout son matériel
dans les bagages, le même fourbi qui s’arrache aujourd’hui à prix d’or : boîtes
à rythmes analogiques, synthétiseurs en fonte, amplis à lampes et guitares
vintage.
Cela faisait de
nombreuses années que les rumeurs d’album solo avaient cours, et même si Dominique
s’était illustré au sein de plusieurs collaborations, ce projet n’avait alors
jamais vu le jour. Un album très électronique a pourtant été réalisé vers 2004,
et seul le charmant Histoires Naturelles
en avait été rendu disponible sur la plateforme Youtube. Un titre repensé et
réorchestré en guise d’introduction à La Beauté de l’Idée, et quel titre !
Ici ouvre La Beauté de l’Idée tout en saturation et en mélodie,
et donne le ton pour un album qui sera définitivement pop : le magnifique L’Amour témoigne à merveille de cette
absence de complexe. Pop eighties, pop nineties, pop des années 2000, on est comme
annoncé par Dominique au milieu de trente ans d’influences digérées à travers
une patte musicale et sonore reconnaissable entre toutes. Dis comme moi, A ne pas croire, La balançoire, Légers comme l’air, Une
ville sans néons, Instagram ont tout pour plaire aux indophiles – et
particulièrement ceux qui savent apprécier des disques comme Le Péril Jaune ou
Un Jour dans notre Vie, mais aussi à tous ceux qui se retrouvent dans la pop à
guitares soignée. Le son est remarquable, d’une grande clarté malgré un spectre
général plutôt massif, et on se délecte d’entendre un peu de rock par-ci, un
peu de synthpop par là, de gracieux vocoders et surtout beaucoup de mélodies
façon new wave. Cette même new wave
qui en France, en 1982, avait été colorée du son de la Fender Mustang de
Dominique, de ses influences ska, rockabilly, et surtout de ses mélodies inspirées
des immenses Shadows.
Côté textes, Noël
Mattéi, chanteur de feu Madinkà, semble avoir pris du recul sur cette époque. Comme
en témoignent les textes très honorables de Mon
enfant et A part, disponibles sur
son EP auquel a participé Dominique, l’homme a beaucoup progressé à ce niveau.
Effectivement,
non seulement les textes de La Beauté de l’Idée se tiennent très bien, mais
certains se révèlent particulièrement émouvants : L’amour, Dis comme moi, La balançoire, Instagram constituent
l’affirmation d’une plume affirmée, de la part d’un homme visiblement électrisé
et heureux de pouvoir travailler avec celui qui a tant apporté à sa culture
musicale. La voix grave, juste et chaleureuse de Dominique, aussi proche de
Miossec que de Daho, s’accorde parfaitement à la poésie charmante et au
vocabulaire romantique de Noël. La nature, l’amour, le ciel et la terre, la mer
et les arbres, le rire et les larmes, tout y passe pour le plaisir des grands
sensibles, qui verrons sûrement dans ces textes une nouvelle invitation au
voyage. Tantôt, la musique se fait support pour le texte, tantôt l’inverse, et
en ce sens la démonstration d’alchimie est parfaitement réussie. On salue au passage
la jolie reprise de Sous quelle étoile
suis-je né de Michel Polnareff façon synthpop, qui devrait ravir les fans
de Taxi Girl et des premiers Depeche Mode.
Au-delà d’une
subjectivité certaine de ma part, couplée à une réelle envie d’honnêteté qui
ferait écho à ce qui est proposé sur ce disque – et bon sang ce que ça change
au milieu d’une scène où chacun veut être plus branché que son voisin – La
Beauté de l’Idée est une grande réussite, une vraie leçon d’humilité, de
sincérité et de pure pop music, qui se clôture tout en élégance sur le superbe Instagram. Un titre mélancolique, toutes
cordes dehors, qui rappelle par plusieurs aspects Your Blue Room proposé par
U2 sous le nom « Passengers », lors de leur période la plus
expérimentale.
Dominique
Nicolas est un maître, et cet album est un pavé dans la mare. Il est à la fois
l’occasion de montrer à quel point la pop française actuelle doit à son auteur,
que celle de donner une leçon de composition à nombre de groupes tout frais qui
pensent qu’il suffit de surfer sur la réhabilitation de la langue française
pour présenter un projet crédible. La majorité des titres ayant été composés
ces trois dernières années, on tient ici la preuve que Dominique Nicolas n’a
rien perdu de son talent, malgré vingt années passées loin de la scène. Maintenant,
si ceux qui ont découvert la musique francophone avec La Femme pouvaient faire
un effort de curiosité, ce serait un pas en plus vers la reconnaissance que
mérite la scène française.
R. D.