lundi 28 avril 2014

Une lumière dans la nuit : LONDON GRAMMAR

Certains jours, tout est lourd et poisseux. Parfois, coincé dans votre voiture d’occasion, vous écoutez les nouvelles qui tournent en une sinistre boucle et vous avez soudain envie de crier d’une voix aigue, à la limite de l’insoutenable :
- « L’Ukraine ? Mais je m’en contrefous ! Leur football gluant ? Mais pitié ! Lâchez-nous au moins 24h00, bande de tafiolles en short surpayées et qui se roulent dans l’herbe grasse en chouinant au premier mini bobo ! Les comiques au pouvoir ? Disparaissez dans un trou à rats, votre haleine putride de corruption généralisée nous empêche de respirer et vos mimiques ridicules ne trompent même pas vos courtisans serviles ! Et ce putain de trafic ! Mais nom de nom, pourquoi ces gens moches et gras existent-ils seulement, me bloquant par leur présence, dans leurs voitures entassées sur les 15 prochains kilomètres qui me séparent d’un travail minable dans une multinationale qui va me licencier dans un avenir si proche ?? »
Et de rajouter, furieux et dépenaillé, la bave tiède aux lèvres et les yeux fous :
-« Pourquoi donc ce monde vieillissant est-il rempli de terroristes hagards, de dévots décérébrés, de guerriers assoiffés de sang, de machos venimeux et de femelles jalouses ? Pourquoi l’Education Nationale est-elle sabrée au sang par des irresponsables pantouflards et rugueux, vengeurs et bornés ? Et pourquoi notre grande civilisation autrefois si noble et fière se laisse–t-elle fouler par les pieds fourchus et crapoteux d’une finance paranoïaque, sans âme, numérisée et suicidaire ? Oui, Pourquoi ?"
Une fois que vous avez dit cela, vous n’êtes pas plus avancé. Votre voiture est toujours une voiture d’occasion, et vous, dans un embouteillage…
Le CAC 40 vous a peut être déjà licencié. Vous finirez muté en Ukraine, pour éduquer en vain une faction islamiste de métallurgistes butés, dont la seule distraction est la contemplation béate de matches de football de la ligue 3 locale ? Et l’embouteillage s’est solidifié, comme le cœur froid d’un ordinateur capable de procéder à des millions d’opérations boursières par fraction de seconde.

Alors, épuisé et livide, vous entendez soudain la chanson de LONDON GRAMMAR, Wasting My Young Years.

Le ciel nuageux se troue d’une clarté aveuglante. Votre gorge est serrée mais chaude, et il vous semble à présent peser un cinquième de votre masse. Vos mains vous semblent fraîches sur le volant, un albatros rose vous frôle et vous fait un clin d’œil. Il vous paraît étrangement possible d’envisager maintenant l’existence d’un être suprême, omnipotent et bon, tolérant et chaleureux. Il n’y a plus de bouchon sur la route, il n’y d’ailleurs plus de route, votre véhicule immaculé glisse dans les courbes de nuages fanfrelucheux avec la grâce de Pégase qui approche de l’Olympe.
Il n’ ya plus de « pourquoi » mais uniquement ces réponses évidentes, lumineuses et candides que vous possédiez depuis l’âge de sept ans, quand vous compreniez le langage des arbres, des petits crabes de la plage et des bonshommes en Lego. Soudain, l’Ukraine n’est plus qu’une vilaine tache rose sur la carte de Géographie, au mur d’une classe de CP et c’est Madame Claire, votre si blonde et si belle institutrice de l’époque qui vous apparaît en lévitation et nimbée d’une lumière dorée, chantant doucement cette musique céleste. Elle sait tout et aussi que vous travaillez toujours très bien en dessin. Ses mains douces se tendent vers vous, la gauche contenant un bon point pour vous récompenser du joli coloriage que vous avez réussi à finir, la langue pendante et le poignet bien droit.   


Certains jours finissent mieux que d’autres.