A la toute fin 1992, 3 ans à peu
près avant que NRJ, Skyrock & consorts ne passe en « heavy
rotation » le célèbre « Killing in the name », mon colocataire
Greg rentre excité à l’appart’ que nous partagions à l’époque en me disant
« Nico, j’ai trouvé un album, il paraît que c’est un mix entre AC/DC, les
Fishbones et Public Enemy », c’est-à-dire 3 groupes que nous adorions. Il
le met illico dans le lecteur CD et on part pour 52’ d’écoute. Une fois fini,
on se regarde. Première réaction : « wow ». Seconde :
« On le remet ? ». L’album dégageait une telle énergie que
j’avais l’impression que nous avions un réacteur nucléaire au centre du salon. C’est
que là où le formations qui veulent dégager de la puissance de frappe
privilégient la vitesse, Rage Against The Machine, dans ce premier album
éponyme, arrivait à générer une énergie pure alliée à un tempo lent grâce à une
section rythmique style BTP, la guitare virtuose et métal de Tom Morello et la
voix rageuse sur un rythme rap de Zach de la Rocha. Sur scène, la force du
combo est décuplée comme j’ai pu m’en rendre compte 2 ans plus tard aux
Eurockéennes, à 10m de la scène, 20.000 personnes derrière moi, la poussière
s’élevant du sol comme un signe d’apocalypse dans une ambiance pré-Heysel.
Les paroles sont engagées voire
enragées, pleines d’anglicisme et d’expression de rue (« just victim of a
in-house drive-by ») et reflète l’engagement de ces californiens
anti-mondialisation et anti-capitalisme. De fait, l’album est un crachat à la
face des USA et un démontage en règle du mythe américain. La première chanson
donne le ton. « Bombtrack » appelle à cramer les costards des « putes
du pouvoir » et à se réchauffer les mains au feu de la bannière étoilée.
Suit le célèbre « Killing in the name » qui a fait un carton sur les
radios et évoque les liens entre le pouvoir et le Klu Klux Klan. « Bullet
in the head » dénonce les médias, leur propagande et le lavage de cerveaux
qu’ils exercent. « Know your enemy » est peut-être la plus explicite
en disant que les ennemis sont les profs qui disent de se combattre soi-même,
appelle à la vengeance contre les flics et dénonce les maux du rêve américain
(compromission, soumission, ignorance, brutalité, …). J’ai longtemps moins aimé
la dernière chanson de l’album, « Freedom », mais c’est désormais ma
préférée. Elle appelle à la liberté pour un indien-américain incarcéré depuis
1976 pour les meurtres de 2 agents du FBI. Surtout, elle livre la clef de
RATM : juste avant le refrain, on entend murmurer : « Anger is a
gift ». La colère est un don, et c’est la colère que cultive le groupe,
qui lui donne sa force. D’ailleurs, la suite de la carrière du groupe sera bien
en-deçà de ce premier opus (et s’arrêtera rapidement), comme si la colère
emmagasinée avait été dilapidée, pour notre plus grand bonheur, dès le premier
album. Zach de la Rocha n’a pas fait grand-chose depuis mais le guitariste Tom
Morello signe de belles collaborations notamment une superbe sur l’album
« Rise Up » de Cypress Hill en 2010.
Je ne partage pas toutes les
convictions de RATM, loin de là, en général et à propos de l’Amérique. Mais la
beauté de la chose, c’est qu’une rage primaire, des convictions profondes
puissent s’exprimer avec tellement de force. Qu’une pulsion de violence puisse
se graver sur une galette comme un concentré, une trace indélébile de frustration
et de colère.
Nicolas Quint