jeudi 3 juillet 2014

Chronique album classique :Rage against the machine !

A la toute fin 1992, 3 ans à peu près avant que NRJ, Skyrock & consorts ne passe en « heavy rotation » le célèbre « Killing in the name », mon colocataire Greg rentre excité à l’appart’ que nous partagions à l’époque en me disant « Nico, j’ai trouvé un album, il paraît que c’est un mix entre AC/DC, les Fishbones et Public Enemy », c’est-à-dire 3 groupes que nous adorions. Il le met illico dans le lecteur CD et on part pour 52’ d’écoute. Une fois fini, on se regarde. Première réaction : « wow ». Seconde : « On le remet ? ». L’album dégageait une telle énergie que j’avais l’impression que nous avions un réacteur nucléaire au centre du salon. C’est que là où le formations qui veulent dégager de la puissance de frappe privilégient la vitesse, Rage Against The Machine, dans ce premier album éponyme, arrivait à générer une énergie pure alliée à un tempo lent grâce à une section rythmique style BTP, la guitare virtuose et métal de Tom Morello et la voix rageuse sur un rythme rap de Zach de la Rocha. Sur scène, la force du combo est décuplée comme j’ai pu m’en rendre compte 2 ans plus tard aux Eurockéennes, à 10m de la scène, 20.000 personnes derrière moi, la poussière s’élevant du sol comme un signe d’apocalypse dans une ambiance pré-Heysel.
Les paroles sont engagées voire enragées, pleines d’anglicisme et d’expression de rue (« just victim of a in-house drive-by ») et reflète l’engagement de ces californiens anti-mondialisation et anti-capitalisme. De fait, l’album est un crachat à la face des USA et un démontage en règle du mythe américain. La première chanson donne le ton. « Bombtrack » appelle à cramer les costards des « putes du pouvoir » et à se réchauffer les mains au feu de la bannière étoilée. Suit le célèbre « Killing in the name » qui a fait un carton sur les radios et évoque les liens entre le pouvoir et le Klu Klux Klan. « Bullet in the head » dénonce les médias, leur propagande et le lavage de cerveaux qu’ils exercent. « Know your enemy » est peut-être la plus explicite en disant que les ennemis sont les profs qui disent de se combattre soi-même, appelle à la vengeance contre les flics et dénonce les maux du rêve américain (compromission, soumission, ignorance, brutalité, …). J’ai longtemps moins aimé la dernière chanson de l’album, « Freedom », mais c’est désormais ma préférée. Elle appelle à la liberté pour un indien-américain incarcéré depuis 1976 pour les meurtres de 2 agents du FBI. Surtout, elle livre la clef de RATM : juste avant le refrain, on entend murmurer : « Anger is a gift ». La colère est un don, et c’est la colère que cultive le groupe, qui lui donne sa force. D’ailleurs, la suite de la carrière du groupe sera bien en-deçà de ce premier opus (et s’arrêtera rapidement), comme si la colère emmagasinée avait été dilapidée, pour notre plus grand bonheur, dès le premier album. Zach de la Rocha n’a pas fait grand-chose depuis mais le guitariste Tom Morello signe de belles collaborations notamment une superbe sur l’album « Rise Up » de Cypress Hill en 2010.

Je ne partage pas toutes les convictions de RATM, loin de là, en général et à propos de l’Amérique. Mais la beauté de la chose, c’est qu’une rage primaire, des convictions profondes puissent s’exprimer avec tellement de force. Qu’une pulsion de violence puisse se graver sur une galette comme un concentré, une trace indélébile de frustration et de colère.

Nicolas Quint