Un coup de
jeune, un coup de vieux. Un très beau concert vu par Thomas Monot, 25 ans,
padawan rock, et Jérôme Vaillant, 53 ans, yoda roll .
Part 1/2 :
Un coup de vieux, un coup de vent.
Quand on est en route vers le statut « ivre-mort », les verres
valsent et le monde s’agrandit. Ceux qui connaissent cet état ne me lanceront
pas la bière et savent qu’un tel moment (dont la durée est indéfinie) est
important. Celui où l’on comprend vraiment toutes
les paroles des belles chansons comme celles de Christophe Miossec. Que l’on
soit rue de Siam, à Recouvrance, au Macumba ou dans un dîner de gala sous les
lustres d’un château, il y a cette plage superbe et dérisoire où l’on voit
enfin nettement sa vie, ses échecs et ses bonheurs. Le lendemain sera rude, la
bouche horriblement desséchée et des enclumes de douleur coincées dans le
crâne, le regret éternel -mais provisoire- de toute boisson alcoolisée auquel
s’ajoute un questionnement circulaire et vain sur l’emploi du temps réel de la
nuit passée.
Miossec est costaud, lucide et beau, il ne boit plus du tout. Je préfère
aussi désormais le jus de tomate au céleri à ce Bloody Mary dosé pour arracher
la bouche d’un cosaque. Tonnerre de Brest, que le biture cesse, et on est
passés tous les deux du côté clair de la rue de la Soif. En concert ce soir là,
j’ai donc revu ce vieil ami, le très grand Miossec, chanter avec passion et
talent, concentré et intense. Quand il se met à crier plus fort, il garde les
dents serrées et son corps mince chaloupe tout le temps. Il est puissant, aride
et présent, nous offre ses textes avec clarté et acuité. Une remarque :
traduisez ses textes en anglais et vous avez du pur Joy Division, abordant sans
fard les thèmes du sens de la vie, des ruptures amoureuses et du mal au cœur, du
mal à l’âme, du mal partout…Sous le ciel gris de Manchester ou celui de Brest, c’est
le même combat contre la mort, perdu d’avance bien sûr.
Revenons au concert ; Cinq musiciens pleins de vie, doués et pêchus
entourent notre homme, dont un batteur grandiose, et deux jeunes sirènes
souriantes sont ses choristes/clavier. Le groupe joue parfaitement ensemble et
donne une impression de réelle complicité. L’équilibre est subtil pour
permettre d’entendre chaque mot, chaque phrase et de dérouler des passages
instrumentaux forts, qui montent en puissance et intensité. Nous aurons un
mélange d’anciens chefs d’œuvre des disques « Baiser » et
« Boire » et du tout récent et grandiose « Ici bas, Ici
même » déjà chroniqué avec amour sur ce blog.
Disque après disque, il bâtit une histoire puissante, dans la lignée royale
de nos meilleurs artistes, ceux dont on peut et doit être fier. Miossec, dans
le paysage de la chanson made in France, c’est le Top 14, la Ligue 1, notre
sélection olympique pour la pérennité. Catégories disques et concert, pas moins.
J’enrage et je serre les poings en pensant à la médiocrité de certains,
portés au zénith des ventes par un marketing suintant et dont la pauvreté des
paroles me donne le mal de mer . Mais là n’est pas le propos.
Alors, à la Clef Saint-Germain en Laye, à Lampaul-Plouarzel, à Ris-Orangis,
Miossec et son orchestre vont jouer soir après soir et faire du bien à l’âme de
ceux qui vont les écouter.
Il y aura peut-être un type ou deux, emportés dans le bal des verres et des
bouteilles, qui vont à un moment précis comprendre toutes les paroles, avoir
enfin la vision de ce qu’il a voulu dire à chacun d’entre nous, bourré ou pas.
Rien que pour ça, rien que pour eux, rien que pour nous : merci
Christophe.
Photo LA CLEF , Emilie CAZIN 2015 |