Le jour où ton cerveau associe, sans crier gare, Manu Chao et les
rues de Londres, tu te dis que ça va très mal. Et tu as raison.
Il y a fort longtemps, M. Chao chantait « Ronde de
nuit », un morceau rageur qui fustigeait la mairie de Paris (à l'époque
tenue par Chirac) et sa politique musicophobe. À en croire Manu, doublement
contrarié par sa croissance capricieuse et par le désert culturel de la
ville-lumière, on s'ennuyait à cent sous de l'heure dès que sonnaient les
vêpres au clocher de Notre-Dame.
Il ne sera pas dit que Londres se laisse damer le pion par des
mangeurs de grenouilles et des auditeurs de Goldman. Un nouveau règlement :
invite, avec la convivialité d'un clerc de notaire victorien, les musiciens
de rue à faire le moins de bruit possible. La guitare électrique, les
percussions et même la cornemuse (c'est peut-être politique, une vengeance
post-référendaire, éventuellement ? ) sont priées d'aller voir là-bas si j'y
suis car elles émettent des sons qui peuvent agacer le badaud, paraît-il. Voire
l'irriter. Les débutants iront débuter ailleurs et il est demandé aux
répertoires indigents de ne pas encombrer l'espace. Et à propos d'espace, vous
êtes bien gentils, les saltimbanques mais faudrait voir à pas prendre trop de
place sur les trottoirs. Et puis la City, c'est sérieux, c'est quand même la
finance, des gens hautement responsables qui s'échinent à nous construire un
monde meilleur, alors c'est simple, là-bas, tu joues pas. Faut pas les
distraire, ils bossent. Eux.
Je vous encourage vivement à découvrir ce monument d'humour
anglais qui, en somme, enjoint aux musiciens de jouer en silence, avec cette
exquise politesse glacée qui te fait comprendre pourquoi le thé est considéré
là-bas comme un élément de survie. D'après les musiciens en question, les
autorités de la ville de Londres leur préféreraient les mimes. C'est bien, les
mimes. C'est calme.
Henriette de Saint-Fiel