vendredi 3 avril 2015

The Prodigy : RAGE AGAINST IBIZA

La soirée chauffait à peine dans l’énormissime discothèque l’Amnesiac Pacha. La plus grande des Baléares, la plus rentable, la plus pleine de mousse et de touffes. Un paquet de Watts, une myriade de spots, une hécatombe de bouteilles tous les soirs.
Tous attendaient le DJ set de Davy Ghetto, international et surcoté. Il descendrait directement de son Lear Jet, juste vêtu d’un pantalon en soie verte et d’une clef USB accrochée à sa chaîne en or. Le moment approchait.
Les lumières se mirent à flasher en tous sens, des breaks de batterie frappaient fort, le public levait les bras (par habitude), les filles secouant la tête (par coquetterie) et les garçons hurlant d’excitation (par ivresse). Atmosphère électrique et musique techno bon marché, facile, digeste…
Soudain, le silence. Puis l’obscurité. « Haaaaaaaa » fit la foule.
Un seul spot de poursuite se ralluma vite, puis éclaira la cabine centrale de mix. Stupeur.
Davy Ghetto était là, mais ligoté comme un saucisson, bâillonné avec du gaffer gris et surtout suspendu les pieds en l’air, via un câble pendant du plafond.
Surgirent autour de lui une dizaine de grands bonshommes, portant une tête de renard orange aux yeux incandescents en guise de masque. On rapporte que certains portaient des instruments de musique et d’autres des armes à feu, mais les rares photos prises sont assez floues.
Et l’enfer sonique démarra par un : « we are the fukin’ PRODIGY and we want you to dannccccce !! » déclama un chanteur feu follet surgi des coulisses, micro en main.
C’était bien Liam Howlett et sa double crête, ses tatouages et son regard fou qui lança d’un claquement de doigt les morceaux qui suivirent. Ce fut ni plus ni moins que l’intégrale des morceaux de leur CD de 2015, « the day is my enemy ». Ces chansons violentes et fortes, brutales comme un verre de schnaps au réveil, qui vous secouent les oreilles et le diaphragme. Foin de l’électro de supermarché habituellement passée à la foule en rut de l’Amnesiac Pacha, ces sons agressifs et beaux eurent le pouvoir de faire instantanément péter les plombs à tous ceux qui étaient présents cette nuit là. Une mousse jaune fluo envahit la salle jusqu’à un mètre de haut et tout le monde devint hystérique (la brigade des Stupéfiants qui vint faire des analyses plus tard y découvrit une teneur en Meth-amphétamine assez élevée).
La nuit qui s’ensuivit fut indescriptible.
Le jour allait se lever quand ils attaquaient pour la huitième fois consécutive « Wall of Death » la dégelée d'uppercuts qui clôt l’album en un remix ponctué de coups dans les platines et d’extincteurs jetés dans tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une surface vitrée. Environ la moitié des danseurs était sur le sol, inconscients dans leur vomi ou leur cauchemar, mais les autres hurlèrent « THE DAY IS MY ENEMY » jusqu’à l’aube, en boucle, sur un pattern de batterie tempo 199, bloqué et rauque.
Tout s’arrêta à 07h06 (en fait 06h66 mais ça il fallait le comprendre et plus personne n’était lucide à ce moment là) quand les rayons du soleil pénétrèrent par les fenêtres brisées.
La Guardia Civil intervint enfin, mais the Prodigy avait disparu, laissant les têtes de renard oranges clignoter et grandir à vue d’œil, un Davy Ghetto contusionné être transporté à l’hôpital psychiatrique et l’on entendit alors très très fort une sonnerie d’alarme de téléph….
Marcel Duranton se réveilla en sursaut dans son taxi. 23h53.
L’alarme était réglée pile poil pour qu’il soit prêt à temps pour réceptionner son client V.I.P. au Terminal 2.
« Un gars mince avec des cheveux longs, il aura une petite valise, et tu l’emmènes direct aux Brins Louches, il doit faire Di-Gé » lui avait dit son collègue Lulu.Davy Ghetto arriva et sans dire bonsoir prit place sur la banquette arrière. Il avait un œil au beurre noir et la pommette gauche très enflée. Ses mains étaient bandées et une balafre rouge enflée marquait son front d’un « P » fait au cutter.D’une bouche où un paquet de dents manquaient, il lui dit en essayant d’articuler :
« On chanfe de deftination, je fais chez ma mère, du côté de Neuilly. Je fou dirai le semin… » et il s’endormit tout de suite.
Marcel mit l’autoradio sur France Musique et conduisit vraiment doucement. 
   

Jérôme «Rok-weiler »V.