Elegy est le dernier morceau de Horses, nous
explique-t-elle. Elle ajoute, complice: j’ai dit de l’album, nous
laissant deviner que le concert ne s’arrêtera pas là. Je l’ai écrite il y a
plus de quarante ans, à la mémoire de Jimi Hendrix. Cette petite chanson est
pour ceux que nous avons aimés et perdus au fil des années, c’est pour eux que
nous la chantons, ce soir.
Après avoir ressuscité Jim
Morrison sous forme d’un ange emprisonné dans la pierre, c’est au tour de tous
les autres fantômes de la musique, les siens et les nôtres, de faire leur
entrée dans le théâtre par sa voix, sous la lumière devenue bleue et les yeux
du public qui retient son souffle.
Puis elle s’arrête de chanter
et égrène un nom pour chaque étoile du ciel de Fourvière ; une liste
entrecoupée d’applaudissements :
Joey Ramone
Dee Dee Ramone
Johnny Ramone
Joe Strummer
Sid Vicious
...
Fred Sonic Smith
Robert Mapplethorpe
John Nash
…
Lou Reed.
C’est un bel hommage, dans
lequel les spectateurs l’accompagnent. C’est même tout le concert, qui est un
très bel hommage au rock’n roll et à la liberté qui lui est si chère.
Accompagnée de Lenny Kayle et Jay Dee Dogherty qui l’ont enregistré avec elle,
elle rejoue l’intégralité de Horses, face A puis face B, oscillant entre
solennité et énergie pure.
A 68 ans, Patricia Smith
donne sa propre définition du terme « performeuse » qu’on lui a collé
il y a bien longtemps : elle chausse ses lunettes pour déclamer ses
poèmes, mais arrache une à une les cordes de sa guitare en hurlant
« people have the power ». Droite dans ses bottes en cuir, veste
d’homme sur les épaules, elle impose une présence écrasante mais bienveillante,
souriant comme la gamine qu’elle était sur la couverture de Just Kids, quand
elle avait posé ses valises et ses cahiers dans le hall du Chelsea Hotel.
Rock, poésie, pudeur, retenue
et déchaînement ; elle a tout de même le chic de se mettre de côté pour
laisser ses musiciens s’amuser sur un petit medley du Velvet Underground, avant
de se lancer avec eux dans une reprise sauvage de My Generation, des Who.
Il y a Gloria, et Because
the Night, bien sur, mais il y a aussi ses textes qu’elle interprète et
scande avec passion, et que je suis heureuse de pouvoir enfin comprendre. Sans rien
avoir perdu de son timbre, Mamy Smith est une magicienne aux allures de
sorcières, qui fait joyeusement la nique aux muses coincées d’un antique
théâtre romain.
Juliette Démas