Dans le dernier bunker, dans le dernier carré, dans mon troisième sous-sol,
j’ai emporté quelques albums.
Enfin, juste une poignée, sauvegardée par chance sur un petit disque dur 30
téra-octets épargné de la débâcle.
Entre deux alertes bactériosses, un bombar-drone en rafales et une nuée de
gaz toxico-neurange actif. J’ai échappé au pire, dans mon scaphandre NBC+. Pour
aujourd’hui…
En fuite, on ne choisit pas grand-chose, on attrape et puis on se met à
courir.
Vous croyez que c’est facile de prendre des objets à sauver dans la fumée,
l’obscurité et avec tous vos compteurs G qui sont dans le rouge, les alarmes
qui gueulent et trois androïdes-trancheurs à dégommer au laser de l’autre
main ?
Sans compter tous les trucs qu’il aura fallu laisser à l’entrée de l’abri,
ici au Bunker Panzerkreuz XK22, Sud-Sud Est de Berlin, parce que trop
contaminés. L’autre jour, croyez-moi, il a fallu cramer sur place un type qui
ne voulait plus lâcher son chat-lièvre. Pourtant les yeux violets et le reflet
ocre sur les dents, ça ne trompe pas ; dans le doute, les Militär Poliç
ont flingué les deux. Moi j’ai passé mon matos en douce, parce qu’officier sup’
et je suis réglo côté tours de garde comme distribution de Meth pure à 60% aux
soldats avant les charges à l’aube. Repos camarade, demain sera une autre nuit.
Là, j’écoute Helena Hauff,
l’album Discreet Desires, qui date
d’une petite vingtaine d’années.
Elle faisait de la musique dite « électronique » à une époque où
les machines ne s’étaient pas encore liguées contre nous, un temps paisible où
personne ne craignait les I.A.
Déjà 3 ans que cette terrible guerre humains vs. machines fait rage. Ils
nous ont taillés en pièces et la résistance est difficile, morcelée,
incertaine. Le pire est qu’ils savent s’adapter et ont commencé à produire de
nouvelles versions de leurs troupes d’attaque…
Le conflit est devenu universel, sans pitié et je n’en vois pas l’issue
tant qu’il reste une seule tronçonneuse à circuits intelligents encore en état
de nous couper en pièces. Ça va être dur.
D’ailleurs, quelle ironie, j’adore cette musicienne utilisait des
accessoires musicaux synthétiques simples et expressifs. Sa musique est
totalement instrumentale et pourtant très expressive. En tout cas, elle me
semble bien douce et reposante en comparaison du vacarme effroyable et
permanent qui règne en surface.
Les IA ont bien compris une chose : l’ouïe est un sens que l’humain ne
peut mettre sur pause et ils nous attaquent toujours en commençant par balancer
un son délirant à 400 ou 500 décibels minimum. J’ai vu hier matin une brigade
entière de nos troupes d’appoint détruite à distance, sans pouvoir tirer un seul coup de feu, par
simple défaut d’équipement de protection adéquat. Bien sûr, juste après c’est
lâchage de virus, bactéries, nuage de gaz et enfin seulement ils envoient leurs
robots tueurs.
Revenons à Helena Hauff. Je crois bien qu’elle avait eu une vision
juste, une intuition même en manipulant ses boîtes à rythmes et des séquenceurs
sans pouvoir destructeur.
Elle disait :
« J’ai le sentiment que c’est un
tête-à-tête, vous faites quelque-chose et la machine réagit. La machine dispose
de son propre esprit, et donc elle donne quelque-chose en retour » …
Elle avait
raison, mais depuis quelques temps, c’est horrible, la machine n’a plus envie
de donner mais plutôt de prendre.
Berlin Sud-Sud
Est, le 04 septembre 2035.
Jérôme « Krieg
Engel » V.
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Helena Hauff, album Discreet Desires, sortie le 04 /09/2015