mercredi 12 février 2014

Le troisième homme

Je suis le moins connu du groupe, le moins sexy et le plus effacé. Quinquagénaire au physique passe-partout, je porte des lunettes de sous-directeur informatique et des pullovers noirs discrets. Si les deux autres rock stars ne m’ont pas encore viré ? Je pourrais vous le dire, mais ne le ferai pas.

Gringalet brun s’agite torse nu au devant de la scène. Il a jeté son petit gilet de cuir si seyant. On voit ses mignons tatouages de dur à cuire. Il se la joue petits abdominaux luisants depuis qu’il a arrêté l’héroïne, il y a quelques mois. Oui, il a une belle voix. Ça me rapporte un paquet de royalties chaque année, alors qu’il ne fume pas trop. 
Blondinet frisoté est très sensible sur la question de la composition des chansons. S’il ne signe pas la musique, il en est malade. Signe, mon ami, signe. Je toucherai toujours des fontaines de dollars. En concert, il aime beaucoup sortir une belle guitare demi-caisse pour montrer qu’il ne sait pas que jouer du synthétiseur. 
Gringalet et Blondinet se maquillent les yeux, surtout en tournée. Moi, je reste derrière, planqué derrière des écrans larges et des claviers maîtres. Je vais vous confier un secret : ils ne sont pas allumés. Les ingénieurs du son lancent les boucles préenregistrées à partir de leurs consoles. En concert, j’attends la fin des rappels sans sourire et je compte dans ma tête combien on va vendre en PLV. 
L’autre jour, à Paris ce n’était même pas moi sur scène. Mon cousin Wilbur me ressemble beaucoup et possède quelques pullovers noirs discrets. 
Je me suis promené au jardin du Luxembourg et j’ai très bien dîné. Les royalties continuent à tomber.

Enjoy the silence, mes amis.



Jérôme  V.
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