Je suis le moins connu du groupe,
le moins sexy et le plus effacé. Quinquagénaire au physique passe-partout, je
porte des lunettes de sous-directeur informatique et des pullovers noirs
discrets. Si les deux autres rock stars ne m’ont pas encore viré ? Je
pourrais vous le dire, mais ne le ferai pas.
Gringalet brun s’agite torse nu au
devant de la scène. Il a jeté son petit gilet de cuir si seyant. On voit ses
mignons tatouages de dur à cuire. Il se la joue petits abdominaux luisants
depuis qu’il a arrêté l’héroïne, il y a quelques mois. Oui, il a une belle
voix. Ça me rapporte un paquet de royalties chaque année, alors qu’il ne fume
pas trop.
Blondinet frisoté est très sensible sur la question de la composition
des chansons. S’il ne signe pas la musique, il en est malade. Signe, mon ami,
signe. Je toucherai toujours des fontaines de dollars. En concert, il aime
beaucoup sortir une belle guitare demi-caisse pour montrer qu’il ne sait pas
que jouer du synthétiseur.
Gringalet et Blondinet se maquillent les yeux,
surtout en tournée. Moi, je reste derrière, planqué derrière des écrans larges
et des claviers maîtres. Je vais vous confier un secret : ils ne sont pas
allumés. Les ingénieurs du son lancent les boucles préenregistrées à partir de
leurs consoles. En concert, j’attends la fin des rappels sans sourire et je
compte dans ma tête combien on va vendre en PLV.
L’autre jour, à Paris ce n’était
même pas moi sur scène. Mon cousin Wilbur me ressemble beaucoup et possède quelques pullovers noirs discrets.
Je
me suis promené au jardin du Luxembourg et j’ai très bien dîné. Les royalties
continuent à tomber.
Enjoy the silence, mes amis.
Jérôme V.
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