Ecrans brouillés.
Mes yeux, dans le même état. J’ignore où je me trouve, je suis entouré de télévisions analogiques don les écrans grésillent en monochrome. C’est obscur, asphyxiant. La pièce est si étroite que je n’ai qu’à tendre les bras pour atteindre les deux murs qui se font face. Mais je suis paralysé. Je ne peux bouger aucuns de mes membres, j’ignore comment je respire. Le sol est jonché de journaux, des images surtout, et de gros caractères. Un tapis de feuilles mortes. La saccade des écrans me donne le vertige. Tout s’accélère et j’ai l’impression que l’espace dont je dispose rétrécit.
Il n’y a aucune porte. Aucune échappatoire. Je voudrais mourir. Je ferme les yeux. Une décharge de courant me rouvre les paupières instantanément. Puis deux. Puis trois. Comme si j’avais besoin de ça pour ouvrir les yeux. L’agitation régulière des téléviseurs s’interrompt, un message s’affiche, clignotant. J’ai la respiration en pointillés et de l’eau froide qui perle sur mon front.
« You’re guilty »
C’est comme une aiguille dans ma peau. Une piqûre de rappel. Ça résonne en moi, comme un écho dans une pièce vide. C’est ça, je me sens vidé. Je hais celui que je suis devenu. Ce que j’ai fait de ma vie, et à quel point j’ai changé celle des autres. Je ne suis pas le pire, je ne suis qu’une griffe du monstre mais je ne suis pas pour autant innocent.
J’avais de grandes idées, de grands espoirs, je pensais naïvement, que j’apportais ma contribution au monde. Audiovisuel, au moins. Mais j’ai juste participé à la destruction massive de notre société. J’ignorais que j’allais devoir vendre mon âme, mais l’aurais-je fait en le sachant ? Probable. Que ne ferait-on pas pour un peu d’argent ?
« You’re guilty »
Comme une perceuse dans mes os. Je suis percé à jour. Je connais la réalité, celle que je fabrique. J’ai pas besoin d’y réfléchir, je bouffe avec, je dors avec. J’aimerais faire taire ces écrans, mais il est trop tard, depuis trop longtemps. J’ai nourri vos fantasmes, approvisionné vos vices, fait imploser vos pulsions. J’ai contribué à diluer vos esprits, sans réaliser que le brouillard du mien était aussi épais. Je ne vaux pas grand-chose. Mais vous ne valez pas mieux. S’il y a toujours plus de gens pour concocter des ordures, c’est qu’il y en a encore plus qui les regardent, qui les avalent, sans broncher.
« You’re Guilty, all the same ! »
Ecrans noirs. Le silence m’enveloppe. Une douceur qui m’a été enlevée depuis… Depuis quand déjà ? Je sens le souffle du vent. Est-ce que je suis encore vivant ?
« Chester ?! Chester !!! Bouges-toi le cul, y a les séquences du plan à Lincoln Park à monter. Et t’oublies pas le slogan hein ? C’est le plus important ! »
Encore affalé au fond de mon fauteuil de bureau, je me réveille et reprends mes esprits aussi vite que je peux. Je coupe le son de l’application radio, et rallume mon ordinateur. J’ai du boulot. Le monde a besoin de moi.
Amandine Bazin