L’élégance ne se décrète pas, elle s’impose.
Quand les musiciens de Plaza Francia entrent sur scène, il est clair qu’ils
en sont nimbés. Les deux vieux soldats du Gotan Project sont rivetés d’assurance
intelligente et les deux autres hombres
ont la jeunesse barbue comme passeport pour le succès. Puis, très attendue, la
classe folle de Catherine Ringer et l’aura de souvenirs qui l’entoure
déclenchent des applaudissements sincères. L’éclairage est beau, soigné, et pétille
déjà.
Toni le robot, un savant dispositif constitué d’une véritable batterie
farcie de baguettes commandées par des servomoteurs via un ordinateur ne dit
rien quant à lui.
Il sait tout au fond de ses puces qu’il est élégant lui aussi, par ricochet
des personnages qui l’entourent et des jolis spots qui l’éclairent avec grâce. Après
deux jours de résidence et de répétitions, Plaza Francia est fin prêt à
produire un magnifique set, où le tango et l’électronique feront bon ménage. Le
public est conquis d’avance, souriant et ouvert. Nous ne sommes pas déçus, transportés
même en une Argentine 2.0, possédant l’âme de Rita Mitsouko et la maestria des
sorciers mutins Müller et Makaroff. Si l’on m’avait dit qu’un jour j’écouterais
du tango et trouverais cela bien, j’aurais bien ri. Mais hier je n’ai pas ri,
en revanche j’ai voyagé loin et j’ai été touché. C’était beau, chaud, vivant, cela
faisait du bien au cœur comme au cerveau et le concert est passé en un souffle.
Nous avons même eu deux beaux cadeaux : la reprise du Libertango de Grace
Jones (Tu cherches quoi ? Moi
aussi, je déteste la vie… ) et
un émouvant remix-bouture du morceau « Santa Maria del Buen Ayr » avec
« Marcia Baila », le télescopage des deux hits les plus fameux des
artistes présents sur scène hier soir. Les rappels n’en finissaient pas, nous
ne voulions pas les quitter.
Dans la nuit douce d’un 21 avril sans élections ni frustration, nous sommes
rentrés chez nous, l’âme légère et la tête pleine de mélodies. La Seine
brillait sous la lune, lisse et argentée comme un mar del plata au pays du drapeau blanc et bleu, de Borgès et de Piazzola.
Toni le robot était déjà démonté mais souriait aussi dans sa caisse.
L’élégance, pensait-il en code binaire, elle ne se décrète pas, elle s’impose.
Jérôme «bandonéon » V.