mardi 28 avril 2015

Rone et puis Barbarossa : les mots pour le dire

Comment décrire des morceaux de musique en quelques mots ? Digressons, puis prenons l’exemple de deux artistes « électro » actuels et assez captivants.

Préambule

C’est tout là l’un des enjeux du subtil exercice de l’écriture récurrente au sujet de l’art sonique. Pour commencer, il s’agit d’un travail à visée subjective : l’auteur souhaite partager son opinion et, soyons honnêtes, convaincre des lecteurs potentiels d’une appréciation personnelle. Dans mon cas, familier à la pratique de l’éloge, je veux faire apprécier l’œuvre décrite en une chronique courte et impactante. Avec un parti pris d’esprit positif, Songazine oriente vers une estime favorable et souriante.
Ce qui est sous-jacent -et ici aisément- avoué est ce que l’on va nommer « symétrie affective ». Entendons : ce groupe est formidable, super rock, innovant et adorable, donc JE suis par ricochet formidable, etc…  Et bien évidemment, pour les critiques qui se complaisent dans l’aigreur et la méchanceté, ce sera de « l’asymétrie comparative », soit : eux sont nuls, donc MOI… je vous le dis et je sors du lot de la médiocrité en les mettant plus bas que terre. Revenons au fait de qualifier de la musique contemporaine amplifiée avec ferveur.
Tentation numéro 1 : la grande comparaison. Avec un peu de culture, chose très facile, confortable et là encore, valorisante. Cela permet du « name dropping » allusion évidente à l’étendue de votre connaissance encyclopédique. De plus, tout a existé, du larsen blanc à la symphonie bruitiste, en passant par des ballades à vous tirer des larmes ou des danses de Saint-Guy pleines de gros mots. Faisons en sorte de redécouvrir chaque jour le monde avec des yeux brillants.
Tentation numéro 2 : les clichés. Tel groupe a une « rythmique d’enfer ». Un solo de guitare est « paroxystique », ou les mélodies sont « soyeuses », l’album est un « voyage », une « renaissance » ou « la chronique d’un moment de vie », voire la basse tonne et le pipo… trône ? Surfez sur les webzines et repérez vite les tics de langage.
Concept « parisien » : se lancer dans des séries d’adjectifs fumeux et inédits, de phrases à tiroirs et d’images étranges et décalées. Le lecteur s’accroche, mais à la fin ne sait pas vraiment quoi penser. Marrant à écrire, ceci dit si l’on ne se prend pas au sérieux.
Astuce supplémentaire (que je pratique souvent) : une digression cocasse, énervée ou poétique voire un préambule tel que celui que vous lisez sur un sujet généraliste, ou technique rusée, partir d’une anecdote personnelle, qui débouche pile sur le sujet dont on doit parler ( le CD du jour si l’on est peu inspiré mais de belle humeur malgré tout).
Cerise sur le gâteau : la forme libre, allant de la fiction générée par votre vision subjective de la musique en question, voire le poème, l’anagramme, l’acrostiche, le rébus ou le puzzle verbal.
Vous savez donc quasiment tout sur les techniques qui permettent aux médias papier et web de remplir moult colonnes et giga octets, parfois avec style, ce qui est plaisant mais l’objet d’un travail avéré ! Suivent deux exercices illustratifs de tout ce qui précède, au demeurant sincères et convaincus.

Rone, objet volant identifié

Erwan Castex est un homme brillant qui nous offre de la musique intelligente, archi-travaillée et sensible. Son dernier album en date, « Creatures » est riche de sonorités fortes et profondes. Merci au label Infiné, qui nous fait découvrir des artistes très divers et bien électroniques, et édite ce troisième album de Rone. Comment décrire ce trajet en zig zags ? Beau et bizarre, sombre et lumineux, habité et labyrinthique ? Assurément puissant et élégant ! Un morceau est chanté par Etienne Daho, comble du raffinement. Cependant, cet album fait partie de ce qu’on appelle les « growers », qui s’écoutent et se réécoutent, car riches en découvertes successives et dont les chansons s’enchaînent à merveille. Une réussite incontestable, du grand cru classé pour les tympans exigeants.



Barbarossa, prière de vous envoler

Ce garçon est sentimental et son âme est douce. Voix haut perchée, incantations élégiaques et complaintes mélancoliques sont au menu. Lâchons-nous : c’est la musique au petit matin pour un lounge perdu entre deux planètes oubliées ou sur un vaisseau spatial égaré, peuplé en after party par des créatures imaginées par Rone et dessinées par Folon. La bande son d’un film sur la recherche de la vie éternelle, avec un casting d’inconnus, tous beaux mais tristes. Barbarossa est fait pour FIP, quand on s’allonge un dimanche après-midi pour réfléchir un instant et qu’on se réveille incroyablement détendu mais plein de nostalgie. L’album « Imager » fait du bien à l’âme.




Jérôme « pas encore chez Tsugi mais déjà fan » V. 

Dessin de FOLON