Comment décrire
des morceaux de musique en quelques mots ? Digressons, puis prenons l’exemple
de deux artistes « électro » actuels et assez captivants.
Préambule
C’est tout là l’un des enjeux du subtil exercice de l’écriture récurrente au
sujet de l’art sonique. Pour commencer, il s’agit d’un travail à visée
subjective : l’auteur souhaite partager son opinion et, soyons honnêtes,
convaincre des lecteurs potentiels d’une appréciation personnelle. Dans mon
cas, familier à la pratique de l’éloge, je veux faire apprécier l’œuvre décrite
en une chronique courte et impactante. Avec un parti pris d’esprit positif,
Songazine oriente vers une estime favorable et souriante.
Ce qui est sous-jacent -et ici aisément- avoué est ce que l’on va nommer « symétrie
affective ». Entendons : ce groupe est formidable, super rock,
innovant et adorable, donc JE suis par ricochet formidable, etc… Et bien évidemment, pour les critiques qui se
complaisent dans l’aigreur et la méchanceté, ce sera de « l’asymétrie
comparative », soit : eux sont nuls, donc MOI… je vous le dis et je
sors du lot de la médiocrité en les mettant plus bas que terre. Revenons au
fait de qualifier de la musique contemporaine amplifiée avec ferveur.
Tentation numéro 1 : la grande comparaison. Avec un
peu de culture, chose très facile, confortable et là encore, valorisante. Cela
permet du « name dropping » allusion évidente à l’étendue de votre
connaissance encyclopédique. De plus, tout a existé, du larsen blanc à la
symphonie bruitiste, en passant par des ballades à vous tirer des larmes ou des
danses de Saint-Guy pleines de gros mots. Faisons en sorte de redécouvrir
chaque jour le monde avec des yeux brillants.
Tentation numéro 2 : les clichés. Tel groupe a une « rythmique
d’enfer ». Un solo de guitare est « paroxystique », ou les
mélodies sont « soyeuses », l’album est un « voyage », une « renaissance »
ou « la chronique d’un moment de vie », voire la basse tonne et le
pipo… trône ? Surfez sur les webzines et repérez vite les tics de langage.
Concept « parisien » : se
lancer dans des séries d’adjectifs fumeux et inédits, de phrases à tiroirs et d’images
étranges et décalées. Le lecteur s’accroche, mais à la fin ne sait pas vraiment
quoi penser. Marrant à écrire, ceci dit si l’on ne se prend pas au sérieux.
Astuce supplémentaire (que je pratique souvent) :
une digression cocasse, énervée ou poétique voire un préambule tel que celui
que vous lisez sur un sujet généraliste, ou technique rusée, partir d’une
anecdote personnelle, qui débouche pile sur le sujet dont on doit parler ( le
CD du jour si l’on est peu inspiré mais de belle humeur malgré tout).
Cerise sur le gâteau : la forme libre, allant de
la fiction générée par votre vision subjective de la musique en question, voire
le poème, l’anagramme, l’acrostiche, le rébus ou le puzzle verbal.
Vous savez donc quasiment tout sur les techniques qui permettent aux médias
papier et web de remplir moult colonnes et giga octets, parfois avec style, ce
qui est plaisant mais l’objet d’un travail avéré ! Suivent deux exercices
illustratifs de tout ce qui précède, au demeurant sincères et convaincus.
Rone, objet
volant identifié
Erwan Castex est un homme brillant qui nous offre de la musique
intelligente, archi-travaillée et sensible. Son dernier album en date, « Creatures » est riche de sonorités
fortes et profondes. Merci au label Infiné,
qui nous fait découvrir des artistes très divers et bien électroniques, et édite
ce troisième album de Rone. Comment décrire ce trajet en zig zags ? Beau
et bizarre, sombre et lumineux, habité et labyrinthique ? Assurément
puissant et élégant ! Un morceau est chanté par Etienne Daho, comble du
raffinement. Cependant, cet album fait partie de ce qu’on appelle les « growers »,
qui s’écoutent et se réécoutent, car riches en découvertes successives et dont les chansons
s’enchaînent à merveille. Une réussite incontestable, du grand cru classé pour
les tympans exigeants.
Barbarossa,
prière de vous envoler
Ce garçon est sentimental et son âme est douce. Voix haut perchée,
incantations élégiaques et complaintes mélancoliques sont au menu. Lâchons-nous :
c’est la musique au petit matin pour un lounge perdu entre deux planètes
oubliées ou sur un vaisseau spatial égaré, peuplé en after party par des
créatures imaginées par Rone et dessinées par Folon. La bande son d’un film sur
la recherche de la vie éternelle, avec un casting d’inconnus, tous beaux mais
tristes. Barbarossa est fait pour FIP, quand on s’allonge un dimanche
après-midi pour réfléchir un instant et qu’on se réveille incroyablement
détendu mais plein de nostalgie. L’album « Imager » fait du bien à l’âme.
Jérôme « pas encore chez Tsugi
mais déjà fan » V.
Dessin de FOLON |