samedi 30 mai 2015

Au Blue Chicago, pendant le set de 00H45

A Chicago, comme ailleurs, les musiciens dans les clubs font des « sets », c'est-à-dire que les groupes de blues jouent ¾ d’heure puis font une pause. C’est comme cela depuis… très longtemps.
Ce vendredi soir, au BLUE CHICAGO, sont programmés TENRY JOHNS BLUES BAND with CLAUDETTE , à savoir une bande de vieux briscards locaux qui respirent cette musique et en jouent avec une grâce et une évidence qui sont d’essence supérieure.
J’arrive vers 22H00, fin du premier set, le temps de boire une bière ($12 l’entrée, $5 la Corona, les tarifs sont bigrement légers !). Le videur placeur, une montagne avec casquette et barbe blanche m’intime l’ordre de m’asseoir sur le tabouret au coin du bar, place idéale : « you sit here ! », je ne vais pas le contredire. Rapidement, l’établissement se remplit (c’est objectivement juste un grand couloir, mais plein d’histoires, avec un bar, quelques sièges et au fond les toilettes décorées de mille graffitis, derrière la scène).
Jour de congrès à Chicago, je devine les business executives, qui viennent se détendre après le dîner et se déplacent par grappes et je ris en reconnaissant un compatriote avec son pull sur les épaules et l’air faussement décontracté. On ne peut pus bouger un orteil. Friday night, c’est chaud.
Les musiciens sont donc en pause, ils parlent avec le public : des bonshommes respectables et une chanteuse qui sont nés dans les 50’s, gentils, prévenants, cool et souriants. Ils parlent avec ces intonations typiques des afro-américains et ils sont simples, ils sont humains : ils sont le Blues !
Le show recommence et c’est parti pour 50 minutes de pure musique, ils enchaînent des standards, des classiques, comme des « tubes » Motown, donc le public danse, gigote et crie. A ma place stratégique, je suis relax et observe le bartender, autre montagne à barbe et casquette, faire des myriades de cocktails. Les billets verts changent de main. On se croirait dans une machine à laver géante.
Fin du set, so… les deux tiers des clients repartent dans leurs hôtels : demain il y a symposium, conférence et le jetlag explose les yeux des européens. Moi aussi, j’ai symposium et conférence, mais je reste dans ce club comme la moule sur son rocher. Une moule qui a les yeux explosés, mais bon.
Dans le Blue Chicago redevenu respirable, j’en profite pour aller serrer la louche du groupe, les remercier et, je le répète, ils sont d’une douceur et d’un contact touchant. On a envie de leur faire un big hug.
00h45.
Le dernier set commence et là, l’atmosphère a changé. Le groupe joue plus serré, plus intime, plus électrique. Ils sont au top de leur art, dégainent les solis et se passent la main, les morceaux sont fluides et lumineux. Ceux qui sont restés dansent, la transe est palpable quand on nous sert un vrai funk façon James Brown où les guitares aériennes me font partir en apesanteur.
La chanteuse les rejoint et l’âme de l’Amérique noire vibre sous ses mots.
Le temps est suspendu alors que je me dis en un flash « punaise, this is it ! ». Tout est en accord parfait : les gens, les notes, la lumière, le lieu et l’heure. Dans ce boui- boui orné de néons, sur une scène toute petite, il se passe quelque chose de fort, par l’action conjuguée de sons produits via des instruments et des amplificateurs.
Je n’ai pas d’explication claire à vous donner. This is it.
Le show s’arrête soudain, je salue les artistes et je suis léger dans la rue tranquille.
Je prends un taxi rapide alors que l’air nocturne est doux.
La ville brille de mille feux apaisés, une autre journée a commencé, mais demain soir, même heure, même club tout repartira pour 3 sets : « Hello everyone… 1, 2, 3, 4… ».
Magie du blues, féerie en Illinois, sorcellerie des accords parfaits.
C’est pour ces moments là que j’ai vendu mon âme au diable.


Jérôme «Riley » V.