Oui, je suis très chanceux.
Mon employeur m’envoie en congrès aux USA et je voyage sur American Airlines en Business Class. 09H15 de vol vers
l’Illinois. A peine avons-nous décollé que l’on me déploie en souriant une
tablette individuelle complexe et m’y pose avec grâce une nappe en tissu
immaculée, avec des couverts en argent, pour m’apporter des noix de cajou
chaudes, accompagnées d’un jus de tomates épicé. Niveau de stress zéro pointé.
Je choisis d’un air pensif et aminci le poisson plutôt que le bœuf dans le leaflet cartonné du menu luxueux, auprès
d’une hôtesse burinée mais bilingue, tout en dégustant le houmous, une petite
salade et les toasts fins. Un Cabernet-Sauvignon de Californie fruité fera
glisser tout cela en attendant la gouleyante glace vanille nappée de caramel et
de noix. Il m’a été remis un casque Bose et une tablette Samsung dernier cri
dans laquelle je peux piocher parmi 30
jeux, 25 films, 16 séries autant de documentaires et des dizaines d’albums.
Tout en survolant les îles anglo-normandes, cartographiques et nimbées de
rivages d’émeraude, je feuillette d’un doigt patineur le catalogue musical et
me dirige (naturellement) vers la section « alternative », pour
choisir l’album des Foo Fighters, aka « Wasting Light » (je ne
vais pas prendre « Latin » ou « Variety », quand
même ?)
Un peu hilare à cause du Bailey’s sur glace pris en digestif, je mets le
volume sur max, alors que mes voisins éloignés font les morts en positionnant leur
siège en mode total horizontal ou
regardent des blockbusters d’un air
fumasse, voire préparent en off-line
un mail sanglant à leur staff au garde à vous, qu’ils recevront, au bord du burn-out, dans quelques heures (hola les
gars, on est en Business, j’ai trois hublots et 4,8 mètres carrés pour moi tout
seul, hein !).
Me voilà à 32.000 pieds au-dessus des bancs de maquereaux insouciants et vif-argent,
ondulant sous des de vagues ourlées de moutons
pensifs. La Terre est ronde, l’horizon est trop bleu, le Bailey’s est doux, hou
hou.
Can I have another one please? Palmyre va
exploser bientôt, les abeilles meurent partout, Podemos pourra pas grand-chose
mes amis et il faut déclarer ses impôts online
avant le 15 juin, et je m’en fous. Complètement.
Je pense fort à ceux que j’aime et je les aime fort.
Pour quatre SMIC et demi, je me fais péter les décibels et je passe en
boucle l’album des Foo Fighters.
Carpe diem, instants suspendus, privilège du grand voyageur. Bose, tu poses. La
sensation est belle, colorée, polyphonique, cette musique est riche en
distorsion, mais pas trop, de bon larsen comme il faut, la voix est onctueuse,
amicale et proche. Les chansons regorgent d’énergie et de vitamines, Dave Grohl je pense à toi. Ces types
savent jouer +++, point à la ligne.
Cinq fois de suite j’écoute again la chanson « Bridge Burning », number one de ce disque et la plus mélodique. « Rope » est énergisante, électrique et rebondissante. « Dear Rosemary » est une berline rapide puissante, lourde et évocatrice. « Arlandria » décolle comme un bon Boeing 747 et avec majesté, survole la médiocrité ambiante sans même une déviation de son cap vers l’ouest. Tout l’album est formidable, du hard rock carré bombé d’accords somptueux qui passe sans douleur, au dessus-des nuages, le sourire aux lèvres.
Et toi, Dave G., te rappelles-tu parfois de tes débuts, avec Kris et Kurt ? Je suis certain que oui, même quand tu prends American Airlines en Business, même quand une « White limo » vient te chercher à Chicago O’Hare. Tu as souri pendant le vol, regardé la section « alternative » et vu que ton album était dans la sélection. Loin les débuts, proches les souvenirs tatoués comme un dragon sur ton épaule striée. Unforgettable Nirvana.
Cinq fois de suite j’écoute again la chanson « Bridge Burning », number one de ce disque et la plus mélodique. « Rope » est énergisante, électrique et rebondissante. « Dear Rosemary » est une berline rapide puissante, lourde et évocatrice. « Arlandria » décolle comme un bon Boeing 747 et avec majesté, survole la médiocrité ambiante sans même une déviation de son cap vers l’ouest. Tout l’album est formidable, du hard rock carré bombé d’accords somptueux qui passe sans douleur, au dessus-des nuages, le sourire aux lèvres.
Et toi, Dave G., te rappelles-tu parfois de tes débuts, avec Kris et Kurt ? Je suis certain que oui, même quand tu prends American Airlines en Business, même quand une « White limo » vient te chercher à Chicago O’Hare. Tu as souri pendant le vol, regardé la section « alternative » et vu que ton album était dans la sélection. Loin les débuts, proches les souvenirs tatoués comme un dragon sur ton épaule striée. Unforgettable Nirvana.
Les Foo Fighters, merci beaucoup, les masques à oxygène tomberont
automatiquement en cas de dépressurisation, les issues de secours se trouvent à
l’extrémité de ce que vous savez et putain, que ce serait cool de glisser en se
marrant sur les toboggans tout en ayant gonflé nos gilets après avoir tiré la
languette et amerri dans l’Océan bleu saphir aux vagues mélancoliques.
Il y aurait une île douce pas loin, on aurait sauvé une ou deux tablettes Samsung, bricolé des enceintes avec des noix de coco et on écouterait à fond l’album « Wasting Light » avec tout l’équipage, tous les passagers hilares avec leur gilet jaune trop vif autour du cou, battant le rythme dans les sifflets règlementaires, en attendant qu’un héroïque croiseur de l’US Navy vienne nous chercher dans un concert d’applaudissements.
Beau et photogénique tout ça, on aurait même un documentaire sur nous qui passerait un an après sur National Geographic TV, avec des acteurs pour faire comme s’ils étaient nous et une infographie en 3D pour comprendre ce qui s’est réellement passé.
C’était la fête dans ma tête, avec les Foo Fighters et le casque Bose.
Il y aurait une île douce pas loin, on aurait sauvé une ou deux tablettes Samsung, bricolé des enceintes avec des noix de coco et on écouterait à fond l’album « Wasting Light » avec tout l’équipage, tous les passagers hilares avec leur gilet jaune trop vif autour du cou, battant le rythme dans les sifflets règlementaires, en attendant qu’un héroïque croiseur de l’US Navy vienne nous chercher dans un concert d’applaudissements.
Beau et photogénique tout ça, on aurait même un documentaire sur nous qui passerait un an après sur National Geographic TV, avec des acteurs pour faire comme s’ils étaient nous et une infographie en 3D pour comprendre ce qui s’est réellement passé.
C’était la fête dans ma tête, avec les Foo Fighters et le casque Bose.
Après, j’ai dormi deux heures.
Là où je vais c’est l’Amérique, la vraie, faut pas plaisanter quand même.
Jérôme « Seat 02J » V.