mercredi 27 mai 2015

Foo Fighters : Bridge Burning, from Europe to America

Oui, je suis très chanceux.
Mon employeur m’envoie en congrès aux USA et je voyage sur American Airlines en Business Class. 09H15 de vol vers l’Illinois. A peine avons-nous décollé que l’on me déploie en souriant une tablette individuelle complexe et m’y pose avec grâce une nappe en tissu immaculée, avec des couverts en argent, pour m’apporter des noix de cajou chaudes, accompagnées d’un jus de tomates épicé. Niveau de stress zéro pointé.
Je choisis d’un air pensif et aminci le poisson plutôt que le bœuf dans le leaflet cartonné du menu luxueux, auprès d’une hôtesse burinée mais bilingue, tout en dégustant le houmous, une petite salade et les toasts fins. Un Cabernet-Sauvignon de Californie fruité fera glisser tout cela en attendant la gouleyante glace vanille nappée de caramel et de noix. Il m’a été remis un casque Bose et une tablette Samsung dernier cri dans laquelle je peux piocher parmi  30 jeux, 25 films, 16 séries autant de documentaires et des dizaines d’albums. Tout en survolant les îles anglo-normandes, cartographiques et nimbées de rivages d’émeraude, je feuillette d’un doigt patineur le catalogue musical et me dirige (naturellement) vers la section « alternative », pour choisir l’album des Foo Fighters, aka « Wasting Light » (je ne vais pas prendre « Latin » ou « Variety », quand même ?)
Un peu hilare à cause du Bailey’s sur glace pris en digestif, je mets le volume sur max, alors que mes voisins éloignés font les morts en positionnant leur siège en mode total horizontal ou regardent des blockbusters d’un air fumasse, voire préparent en off-line un mail sanglant à leur staff au garde à vous, qu’ils recevront, au bord du burn-out, dans quelques heures (hola les gars, on est en Business, j’ai trois hublots et 4,8 mètres carrés pour moi tout seul, hein !).
Me voilà à 32.000 pieds au-dessus des bancs de maquereaux insouciants et vif-argent, ondulant  sous des de vagues ourlées de moutons pensifs. La Terre est ronde, l’horizon est trop bleu, le Bailey’s est doux, hou hou.
Can I have another one please? Palmyre va exploser bientôt, les abeilles meurent partout, Podemos pourra pas grand-chose mes amis et il faut déclarer ses impôts online avant le 15 juin, et je m’en fous. Complètement.
Je pense fort à ceux que j’aime et je les aime fort.
Pour quatre SMIC et demi, je me fais péter les décibels et je passe en boucle l’album des Foo Fighters. Carpe diem, instants suspendus, privilège du grand voyageur. Bose, tu poses. La sensation est belle, colorée, polyphonique, cette musique est riche en distorsion, mais pas trop, de bon larsen comme il faut, la voix est onctueuse, amicale et proche. Les chansons regorgent d’énergie et de vitamines, Dave Grohl je pense à toi. Ces types savent jouer +++, point à la ligne. 
Cinq fois de suite j’écoute again la chanson « Bridge Burning », number one de ce disque et la plus mélodique. « Rope » est énergisante, électrique et rebondissante. « Dear Rosemary » est une berline rapide puissante, lourde et évocatrice. « Arlandria » décolle comme un bon Boeing 747 et avec majesté, survole la médiocrité ambiante sans même une déviation de son cap vers l’ouest. Tout l’album est formidable, du hard rock carré bombé d’accords somptueux qui passe sans douleur, au dessus-des nuages, le sourire aux lèvres. 
Et toi, Dave G., te rappelles-tu parfois de tes débuts, avec Kris et Kurt ? Je suis certain que oui, même quand tu prends American Airlines en Business, même quand une « White limo » vient te chercher à Chicago O’Hare. Tu as souri pendant le vol, regardé la section « alternative »  et vu que ton album était dans la sélection. Loin les débuts, proches les souvenirs tatoués comme un dragon sur ton épaule striée. Unforgettable Nirvana.
Les Foo Fighters, merci beaucoup, les masques à oxygène tomberont automatiquement en cas de dépressurisation, les issues de secours se trouvent à l’extrémité de ce que vous savez et putain, que ce serait cool de glisser en se marrant sur les toboggans tout en ayant gonflé nos gilets après avoir tiré la languette et amerri dans l’Océan bleu saphir aux vagues mélancoliques. 
Il y aurait une île douce pas loin, on aurait sauvé une ou deux tablettes Samsung, bricolé des enceintes avec des noix de coco et on écouterait à fond l’album « Wasting Light » avec tout l’équipage, tous les passagers hilares avec leur gilet jaune trop vif autour du cou, battant le rythme dans les sifflets règlementaires, en attendant qu’un héroïque croiseur de l’US Navy vienne nous chercher dans un concert d’applaudissements. 
Beau et photogénique tout ça, on aurait même un documentaire sur nous qui passerait un an après sur National Geographic TV, avec des acteurs pour faire comme s’ils étaient nous et une infographie en 3D pour comprendre ce qui s’est réellement passé. 
C’était la fête dans ma tête, avec les Foo Fighters et le casque Bose. 
Après, j’ai dormi deux heures.
Là où je vais c’est l’Amérique, la vraie, faut pas plaisanter quand même.


Jérôme « Seat 02J » V.